Le baiser de Juda

Il y a des choses qui nous effraient au quotidien : une araignée, un balcon trop haut, des phobies en tout genre… Au cours de ces trois dernières années, j’ai développé une peur que je ne connaissais pas auparavant : la peur de mes amis. Là, vous vous dites « ok, c’est bizarre », mais laissez moi reformuler. Je ne crains pas mes amis en eux-mêmes, mais leurs actions, des gestes qui pourraient en un instant briser mon monde. Utilisons cette métaphore qu’est le cœur pour exprimer et ressentir les sentiments. Voyez-vous, j’imagine le cœur comme une chose sécable. Au début de sa vie, notre cœur est déjà divisé, car certaines parties sont offertes aux personnes de notre famille. Lorsque nous grandissons, nous prenons parti de diviser encore un peu notre petit cœur, nous délestant de quelques parties pour les confier à ceux que nous avons choisis : les amis. Lorsque vous offrez un bout de votre cœur, vous vous attendez à ce que l’autre en prenne soin, le chérisse, le manipule avec délicatesse et attention. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas… Je ne sais pas laquelle des trahisons possibles est la plus brûlante. Est-elle plus douloureuse lorsqu’elle vient d’un ami ? D’une personne de sa famille ? De celle ou celui que l’on aime ? Je ne peux parler pour ces deux dernières, car je n’ai été victime que de la première.

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Il y a plusieurs types de trahisons. Celles impardonnables et d’autres, plus discrètes, moins puissantes, mais qui laissent à jamais leurs traces. La plus violente fut de loin ma première expérience avec la trahison. Elle s’est déroulée durant l’année 2015 avec une de mes camarades d’université. Je vais l’appeler Boleyn et les connaisseurs trouveront rapidement son prénom. Dès ma première rencontre avec Boleyn, je l’avais admiré. Un physique à l’opposé des critères de beauté d’aujourd’hui et pourtant un charisme fou qui faisait d’elle une créature séduisante, même hypnotique. Lors de notre rencontre, Boleyn formait avec son petit ami un couple solide et idyllique tandis que je pataugeais à trouver l’âme sœur. Je l’admirais beaucoup, car elle semblait briller d’une confiance à toute épreuve. Mais la pétillante amie se sépara de son chéri et les choses changèrent. Doucement, je me laissais dévorer par une louve dont le cœur était subitement meurtri. Pour soulager ses mots, elle trouva une solution des plus radicales : écraser le morceau de cœur que je lui avais confié et combler avec ses restes les égratignures apparentes sur le sien. Déguisée en entremetteuse, elle jura de m’aider à trouver l’homme de mes rêves. C’est alors qu’un garçon à mon goût apparu et l’amie laissa place à Juda…

Après une rupture, l’individu a deux solutions : se retrancher sur lui-même et déprimer en solitaire ou bien s’attaquer à son image et montrer qu’il est encore irrésistible. Ce deuxième choix fut celui de Boleyn. Et bien oui, la confiance en soi, c’est  comme une plante qu’il faut arroser chaque jour si l’on ne veut pas la voir se dessécher. Il lui manquait simplement un jardinier… voire deux, ou trois, plus encore ! Le calvaire commença lorsqu’elle débuta un jeu de séduction avec le garçon qui me plaisait. Mais ne l’appelons pas Juda pour rien ! Boleyn mérite ce surnom, car elle poussa la sournoiserie plus loin. Alors qu’elle commençait les jeux avec ledit garçon, elle continuait dans le même temps à m’encourager à chercher ses attentions. Je découvrais rapidement ce double jeu, notamment du fait de Boleyn qui, toute heureuse de prouver sa superbe, m’avoua tout sans une once de culpabilité ni même une excuse. Un de perdu, dix de retrouvés, devait lui susurrer sa conscience, certainement la même chose avait été dite concernant les amies…

La douleur éprouvée après cet incident fut intense. Qu’avais-je fait pour mériter ça ? Moi qui l’avait admiré, encensé !?! Je me retrouvais finalement comme un pirate ayant trouvé son coffre étincelant d’or, s’attendant alors à ce qu’il regorge de trésors. Au moment de l’ouverture, sa joie est immense, son excitation extrême puis… rien. Le néant au fond de ce coffre froid et vide. Pire encore, il peut sentir un relent de moisissure ; une pourriture que les reliefs en or avait réussi à camoufler. Indécis, le pirate tend la main vers le fond, tâtant machinalement les parois à la recherche d’une cachette secrète, car ce n’est pas possible ! Il ne peut qu’y avoir un trésor là dedans ! Mais non, il n’y a rien à part la déception, le sentiment amer d’une trahison… Avec cette Juda, j’étais ce pirate. Je cherchais encore et encore un semblant de bienveillance chez cette personne que j’avais tant appréciée. Mais il n’y avait rien, juste le néant également. Pire encore, une petite carte m’attendait sur le bois rugueux : « je t’ai trompé, peu importe ». C’est tout ce que j’y ai trouvé. Aucune excuse, aucune explication. Absolument rien pour tenter de se rattraper. Le vrai Juda a au moins eu la décence de se pendre pour expier ses malversations. Mais elle, ma douce traîtresse Boleyn, n’a même pas cherché une parole consolatrice, l’unique chose que je demandais. Lorsque j’ai trouvé la force d’avouer ce sentiment de trahison que j’avais ressenti, ses seuls mots furent « je sais ». C’est tout… Je sais. Je t’ai trompé, mais peu importe, vit avec cela…

Alors on vit, mais on a peur. A quand la prochaine désillusion ? Mais la tempête arrive souvent rapidement et l’on craint plus que jamais que les restes de notre cœur ne soient écrasés eux aussi. Une autre petite partie a connu des éraflures, des cicatrices qui ne guériront pas. Une règle que je pensais élémentaire dans une amitié, surtout une amitié jugée parmi les plus fortes, a été bafouée. Le mensonge. Moi qui pensais qu’il était à proscrire, je le recevais pourtant en pleine figure… Mais peut-être suis-je un peu vieux jeu dans l’histoire ? Ou bien l’amitié, la vraie, n’existe-t-elle plus dans nos temps moderne ? Je découvrais que la trahison arrivait toujours là où on ne l’attendait pas. Une bonne amie, une personne chérie plus que toutes les autres… Elle aussi pouvait me faire tomber à genoux.

Que faire alors ? Rien. Laisser aller, laisser tomber. Le monstre en moi qui assassinait de mille façons dans mon esprit l’ignoble Boleyn s’en est allé. J’essaie de refréner mes suspicions et mes craintes du mensonge ; j’évite d’être blessée à nouveau en prenant garde, en me méfiant et m’écartant de quelques pas de ceux qui ont pu me plonger dans un désespoir. Il faut savoir pardonner, quand cela en vaut la peine, même si l’on sait bien que tout ne peut pas être restauré. Enfin, je ne cesserai jamais de donner des bouts de mon cœur autour de moi, car parmi les monstres, les lâches et les déceptions, se cachent toujours des perles rares qui ne laisseront jamais tomber votre cœur et le chériront toujours avec un grand sourire.

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